[Terminé] Une rencontre près de la rivière [PV Alrune Alrinach]

Alrune avait déjà presque traversé Fanthaïsa en large et Simula, où elle avait séjourné ces trois derniers mois, était de loin la contrée la plus hospitalière et la plus belle qu'elle ait vu. La nature y regorgeait de créatures fantastiques et surtout, le peuple des Elfes était toujours disposé à rendre service malgré l'allure vampirique de la démone, bien qu'elle ressentait tout de même parfois un peu de méfiance. Cela la changeait des regards méprisants voire vindicatifs qu'elle avait pu devoir supporter sur sa route. Alrune n'avait pas envie de partir, mais le reste du monde restait encore à découvrir et de toute façon, elle pourrait très bien revenir une fois son périple achevé. De plus, quelque chose lui disait que Simula n'était pas vraiment le genre de lieu où elle aurait pu trouver Alastor, la seconde raison de son départ d'Onixion. Lui, tout démon qu'il était, devait préférer les plaines désertes et l'air toxique de Foreoh. C'est donc dans cette direction qu'elle irait.

Cela faisait quelques jours que la jolie démone était sortie de Felicidad et parcourait les vastes forêts en direction du nord, mais même si elle était très débrouillarde, un sens aiguisé de l'orientation lui faisait défaut. C'est pourquoi elle était perdue. Jamais elle aurait dû se risquer à quitter le sentier mais son empressement l'y avait poussé et maintenant elle s'en voulait comme à chaque fois, après avoir fait une erreur qu'un peu de réflexion aurait pu lui éviter. Cette assurance mal placée était le lot de tous les jeunes et Alrune n'avait que 158 ans!

Alrune marchait depuis plusieurs heures déjà lorsque les chahuts d'un petit groupe attira son attention. Elle traversa une petite rivière à gué et se cacha pour observer les passants qui longeaient un chemin encore invisible pour elle quelques minutes auparavant. Il y avait quatre hommes en armes, des elfes comme elle pouvait s'y attendre, et ceux-ci ne semblaient pas hostiles. Au contraire ils semblaient encore jeunes et insouciants. La démone suivit les quatre soldats un tout petit moment avant qu'ils ne s'arrêtent pour se restaurer. Alors l'un d'entre eux, un bandana vissé sur la tête et un anneau bien trop grand selon elle à l'oreille, se démarqua du groupe et s'approcha de sa position. Le temps de monter rapidement à un arbre, en silence, elle put l'épier tranquillement. L'elfe se rafraîchissait, pensif, dans l'eau translucide de la rivière. Rien de plus à signaler selon elle mis à part le fait que comme presque tous les elfes qu'elle avait rencontrés, il avait un certain charme.

C'est alors qu'une idée lui vint. Elle pourrait rejoindre le groupe qui semblait connaître les lieux et ainsi se faire escorter dans ces paysages inconnus. Les convaincre ne devrait pas être difficile, les hommes lui rarement ce qu'elle voulait. Elle descendit donc doucement, tout aussi silencieusement de son arbre qu'elle y était monté et s'y adossa, attendant que l'elfe au bandana se retourne.
Elle n'attendit pas longtemps et lorsqu'il la vit, ce qu'elle lut dans son regard lui dit qu'elle l'avait déjà convaincu. Après un silence de surprise où il la dévisagea, il se présenta sans fioriture. Ce à quoi elle répondit sèchement mais non sans une certaine volupté dans la voix, le fixant de son oeil de braise:

-"Alrune d'Onixion. J'ai cru comprendre que vous alliez vers l'est, - en penchant rapidement la tête en direction des trois elfes qui allaient bientôt plier bagage - je vais justement dans cette direction, vers la ville du Savoir. Pourrais-je me joindre à vous? Je voyage seule depuis si longtemps que j'apprécierai beaucoup avoir un peu de compagnie."

Sur ces derniers mots elle esquissa un timide mais néanmoins affecté sourire qui illumina sans qu'elle le veuille son charmant visage.

La réponse ne se fit pas attendre. A peine Alrune eut-elle fini de parler que Jerc lui répondit positivement avec force détermination, il n'avait visiblement pas eu à beaucoup réfléchir, et s'empressa de la prier de le suivre à la rencontre de ses compères. Ceux-ci se présentèrent d'ailleurs d'eux-même, d'une façon quelque peu directe et d'une certaine manière charmante. En effet lorsqu'ils la virent leurs yeux s'écarquillèrent, surpris qu'ils étaient de voir leur ami revenir accompagné, et surtout excités par la vue d'une jolie fille, tels des jeunes soldats en permission qu'ils étaient. Tout dans leur comportement indiquait qu'il étaient animés par la fougue insouciante de la jeunesse. Et la démone aimait susciter ce genre de réaction: une attirance non dissimulée et générale.

Cependant, au vu du comportement du groupe, Alrune devrait se méfier. Bien que Jerc sembla asseoir une certaine autorité sur ses amis pour les remettre dans le droit chemin, il n'étaient que des hommes, et leurs libidos ne manqueraient pas à leur donner suffisamment de confiance en eux pour passer outre les revendications de leur apparent meneur. De toute façon, elle savait se défendre et ne les craignait pas plus que ça. Elle en avait vu d'autres et des plus corsés pendant son périple à travers Fanthaïsa. Ce qu'elle craignait davantage, était autrement plus effrayant que ces elfes et se tapissait le jour pour mieux attaquer en meute la nuit. C'était d'ailleurs la raison principale de son envie soudaine de se joindre à ces soldats; bien que la solitude commençait réellement à lui peser, le besoin de se prémunir de ces aracknéas prévalait.

En effet, la nuit ne tarderait pas à tomber et le prochain village n'était pas suffisamment proche pour compter sur son abri. La forêt devenait de moins en moins dense et laisserait bientôt place à un horizon de hautes herbes typiques de la région, lieu de chasse de prédilection de ses horribles bestioles. Alrune passerait une nuit plus tranquille en sachant qu'elle n'était pas seule pour bivouaquer dans ce lieu inhospitalier mais normalement familier des elfes. Mike, Barry, John et Jerc connaissaient certainement les risques encourus par les promeneurs nocturnes dans cette région et il y étaient sans nul doute préparés. Sauf si leur insouciance leur avait fait omettre cet obstacle évitable mais pourtant bien réel.

Jusqu'ici, la démone avait eu la chance de les éviter mais mieux valait prévenir que guérir. Enfin elle se ressaisit et reprit conscience de la présence des rustres adolescents qui l'entouraient, s'excusant platement de leur comportement. Cette vision lui donna un sentiment de supériorité inattendu et plaisant, mais ne dura pas car Jerc la prit à part pour essayer d'excuser encore ses amis:

-"J'espère que vous n'êtes pas déçue par leur comportement, d'habitude ils ne sont pas aussi brutaux"

Alrune prit un air presque maternel en répondant avec son désormais classique petit sourire en coin en passant la main dans l'air comme pour chasser ces petites incivilités de sa mémoire:

-"Il n'y a aucun problème. Il apprendront bien assez tôt que cette façon d'aborder une inconnue n'aboutit jamais. Mais reprenons la route, nous aurons tout le temps de faire connaissance en marchant. De plus il vaut mieux ne pas trop traîner, le chemin est encore long jusqu'à la ville du Savoir."

Une fois les paquetages rangés, tout le monde avança d'un pas traînant. C'est alors qu'Alrune s'enquit d'en savoir plus sur ses nouveaux compagnons. Elle était toujours très curieuse, c'était là l'un de ses plus grands défauts.

-"Et donc, qu'est-ce qui pousse cette joyeuse bande à marcher si longtemps vers la ville du Savoir?", demanda-t-elle l'oeil plein de malice.

Le soleil était bas maintenant et l'horizon se parait doucement de nuances de rouge. Alrune adorait ce moment de la journée car à chaque fois la beauté du ciel l'émerveillait d'une manière différente, où qu'elle soit, chaque régions ayant sa palette de couleurs. Chaque soir elle essayait d'admirer le coucher de soleil, c'était presque devenu un rituel et elle s'y tenait.

D'après ce qu'elle avait compris, Jerc rejoignait une petite-amie et ses amis l'accompagnaient. Ils devaient tous les quatre être sacrément liés pour se suivre jusque dans la recherche d'un amour délaissé. Maintenant, Jerc la questionnait à son tour. Elle n'avait pas très envie de révéler ses projets personnels à des inconnus et c'est pourquoi elle resta très évasive, surtout que ses nouveaux compagnons l'auraient sûrement imitée si l'un d'entre eux n'avait pas vendu la mèche dans l'excitation d'accueillir une nouvelle arrivante parmi eux. Jerc surtout se méfiait.Même s'il posait sur la démone le même regard intéressé que ses camarades.

-"En effet, Onixion n'est pas la porte à côté", dit-elle d'une voix moqueuse. "J'ai décidé il y a quelques temps que le monde méritait d'être connu et surtout que je méritais de connaître le monde et sa diversité. Alors j'ai fait mon baluchon - en tapotant un petit sac à bandoulière en cuir posé à sa droite et qui ne semblait pas contenir grand chose - et ai pris la route vers l'Ouest. Maintenant j'ai pour objectif de remonter vers le Royaume, mais avant je veux faire halte à la ville du Savoir, par curiosité tout simplement."

Elle se perdit un instant dans ses pensées. Alrune avait son père en tête et pensait pouvoir le retrouver plus facilement à Foreoh, logique puisqu'il était un démon. Mais elle se ressaisit en voyant le regard de Jerc qui en attendait visiblement plus. Pourquoi entrer dans les détails? Cette version édulcorée suffisait pour l'instant. La jolie brune changea donc de sujet.

-"Mais parlons plutôt de vous, racontez moi qui est celle qui détient votre coeur."

En disant ces mots, un sourire mutin étira ses lèvres, elle savait qu'il ne voulait pas en parler mais sa curiosité la perdrait de toute manière, comme lui disait si souvent sa mère lorsqu'elle était petite. Le temps pour Jerc de répondre et le dialogue fut interrompu par Mike, John et Barry qui les rejoignirent pour finir d'installer le camps de fortune où ils passeraient la nuit. Les cinq aventuriers n'eurent pas le temps de finir de manger que la démone ressentit plusieurs présences qui approchaient, elles étaient plus imposantes que ses compagnons, elle en était sûre. De plus, elles étaient nombreuses, peut-être six ou sept, Alrune n'en était pas sûre tellement l'attente lui faisait accélérer les battements de son coeur qui semblait galoper.

Elle se leva tout à coup, surprenant les elfes qui mangeaient encore et porta le doigt à la bouche, pensant que les assaillants pourraient l'entendre. Elle savait que les aracknéas n'entendaient pas, elles ressentaient, mais Alrune ne put s'empêcher de penser que c'était pour elle qu'elles venaient. Car elles avaient ressenti son aura démoniaque. Une aura qu'elle n'arrivait pas à cacher et qui lui avait déjà causer quelques torts. Mais cette fois, contrairement aux précédentes, elle n'était pas seule. Et vu leur nombre et le fait qu'elle ignorait leur force, la démone se pinça les lèvres en espérant que ses nouveaux compagnons seraient à la hauteur.

Elle attendit encore un peu avant d'avertir les autres d'une voix pressée mais contenue:

-"On a de la visite. - Alrune replia doucement ses bras derrière elle pour attraper les manches de ses dagues qui n'avaient jamais rien trancher, elle s'en servait simplement de vecteurs pour sa magie - Six ou sept, peut-être plus. Soyez prêts les amis."

Avant que les amis de l'elfe n'arrivent, la réponse de celui-ci la surprit. Tout d'abord, il semblait à Alrune que bien que son explication sur son voyage n'avait pas été très étoffée, elle n'en était pas moins suffisante pour commencer. Ensuite la répartie de Jerc dénotait un certain malaise: il n'avait visiblement pas envie d'en parler. Peut-être cette fille était-elle l'objet de souvenirs douloureux ou encore une relation tenue secrète dans la ville du Savoir, ce qui expliquerai pourquoi il refusait de se confier à ce sujet à propos de sa compagne. La démone ne comptait de toute façon pas entrer dans les détails mais elle n'aimait pas être mise sur la touche, qu'il s'agisse d'affaires la concernant ou pas d'ailleurs.

Barry, John et Mike avortèrent donc une discussion vouée à l'échec et la soirée reprit son cours jusqu'à ce qu'Alrune ressentit la présence des aracknéas. Son affirmation ne sembla surprendre personne. En effet, de là où elle se trouvait, Alrune put voir Barry grimper à un arbre proche de leur campement avec une aisance que sa physionomie ne suggérait pourtant pas et John s'approcher d'elle l'arme au poing. Elle ne réalisa pas ce que les autres firent, trop concentrée à réunir toute la magie qu'elle pouvait dans ses dagues, avant qu'une flèche ne siffle près de son oreille pour aller se ficher dans l'un des yeux de la créature qui avait à peine eu le temps de se découvrir. C'est d'ailleurs littéralement rayonnante qu'elle se prépara à frapper.

Le combat s'engagea donc plus vite qu'espéré et en quelques coups d'épée, la première créature tomba. C'est à ce moment précis qu'Alrune se contorsionna dans un mouvement de balancier rapide et faucha le vide de ses dagues, bras en avant, desquels une onde de feu, mince mais ondulant rapidement dans les hautes herbes auxquelles elle faisait face, jaillit pour trancher et cautériser tout ce qui se trouvait sur son passage. Ainsi, la vue débarrassée des herbes abritant les arachnides, cinq autres furent découvertes en plus des trois déjà à l'oeuvre. Certainement surprises par le stratagème, celles-ci se mirent à attaquer aussitôt. La première arriva avec une grande rapidité et toute la violence dont elle était capable sur John qui dut parer plusieurs attaques qui le mirent en difficulté. Jerc lui prêta main forte, abandonnant sa position où une nouvelle créature se précipitai déjà, acculant la démone contre Jerc et John qui bataillaient ferme.

Dans un geste précis et d'une rapidité presque surnaturelle, Alrune stoppa celle-ci d'un coup d'estoc de sa dextre. Une toute petite boule de feu imperceptible par la taille mais d'une incroyable incandescence fut expulsée de la lame et s'infiltra dans la carapace chitineuse qui s'était figée à tout au plus un mètre d'elle. Le trou rouge lave alors formé s'élargit, encore et encore jusqu'à englober tout à fait le monstre téténisé, n'en laissant quelques secondes plus tard qu'un tas de cendres encore rougeoyant et une odeur infecte de chair brûlée. La jeune fille tourna alors la tête pour inspecter où en étaient les autres: Jerc et John faisaient front contre la fameuse sprinteuse qui fut rapidement appuyée par l'une de ses soeurs, Mike et Barry tenaient toujours leur position bien que la fatigue semblait s'emparer d'eux; ils en avaient maintenant chacun une face à eux.

Ils savaient manier leurs armes, à n'en pas douter, mais visiblement l'expérience du combat contre des adversaires si rapides devait leur manquer car la vélocité dont faisaient preuve leurs assaillantes les mettait un peu en difficulté. Un peu n'avait rien d'insurmontable, mais dans ce genre de situation un peu était déjà trop. De plus deux autres aracknéas allaient s'ajouter à la bataille, c'est pourquoi, avant que l'une d'entre elles ne fonde sur Alrune, la démone prit le temps d'entrechoquer ses dagues et de les pointer en l'air, alors ses lèvres bougeaient sans émettre aucun son. Cette danse ne sembla pas avoir d'effet jusqu'à ce qu'un novice en matière de magie aurait pu appeler de éclairs viennent frapper les ennemis de ses nouveaux compagnons de voyage. Des éclairs qui étaient en fait de petites sphères de feu qui se mirent à crépiter une fois leurs cibles atteintes, les éblouissant un instant. C'était peu de chose mais cela donnerait l'occasion aux elfes de reprendre l'avantage.

La démone s'attarda un moment sur le spectacle de ses araignées géantes affolées par des étincelles et intérieurement se moqua. Un moment trop long pour pouvoir voir venir une nouvelle affreuse bête velue fondre sur elle. Mais heureusement elle eut tout de même le temps de rouler sur le côté, laissant sur le chemin l'une de ses jumelles. Ce combat devrait donc se faire de manière plus conventionnelle - elle ne pouvait plus porter sa magie aussi loin et avec autant de force maintenant - mais cela suffirait. Enfin c'est ce qu'Alrune pensait au plus profond d'elle en fixant une dernière fois sa dague tombée avant d'entrer au contact.

Alrune et l'araignée se tournaient autour, l'une narguant son adversaire avec des coups de dagues dans le vide pendant que l'autre frappait frénétiquement le sol de ses griffes et faisait claquer ses crochets gigantesques. De près, l'animal était encore plus horrible que Alrune ne l'imaginait. Même les reflets argentés de la lune sur la cuticule noire et velue ne rattrapaient pas la grossièreté de sa physionomie. L'aracknéa faisait toujours les cent pas au dessus de la dague et empêchait Alrune de la récupérer. Elle devrait donc aller au contact et cela ne l'enchantait guère.

Après une dernière rebuffade de la créature, une opportunité s'ouvrit au regard de la jeune fille. Elle profita d'un écart fortuit pour s'élancer vers l'ennemie et faire une roulade sous elle jusqu'à son abdomen plus fragile. Sa dague était maintenant à portée de main mais la récupérer lui ferait perdre une belle occasion alors elle abandonna l'objet de nouveau. Les huit pattes allaient et venaient à une vitesse incroyable mais cela n'était rien à côté d'Alrune, à laquelle un sang à moitié vampire lui octroyait une vitesse de mouvement encore plus phénoménale. Le spectacle était difficile à suivre et tout se passa très rapidement, une fois sous l'animal, la démone lâcha sa deuxième dague et s'accrocha à la bête du mieux qu'elle put. Là où elle se trouvait, elle était intouchable, enfin tant qu'elle tenait la prise ce qui n'était pas une mince affaire. Serrant les bras et les jambes autour de l'abdomen prolongé d'un dard luisant, Alrune laissa la température monter en elle et transféra la plus grande chaleur possible à la créature dont la couleur noire se para tout à coup de reflets incarnats. L'intérieur de l'araignée était tout simplement entrain de bouillir et la douleur était telle que les huit pattes s'affolaient de plus en plus à devenir hystériques, les cris de l'arachnide allaient bientôt lui percer les tympans et sa prise devenait de plus en plus difficile à tenir.

Enfin, le soubresaut qui délogea Alrune qui tomba au sol fut rapidement suivi du dernier souffle de la créature. Et l'affreux tas de chitine maintenant inerte et silencieux s'effondra sur elle. Presque une minute s'écoula avant que la démone ne se fraye un chemin jusqu'à l'air libre. C'est une demoiselle de nouveau armée de ses jumelles et à peine sonnée par le choc qui se tenait maintenant debout tournant le dos au cadavre fumant. La scène qui s'offrait alors à elle avait changée depuis son dernier coup d'oeil: de nouveaux cadavres d'aracknéas gisaient sur le sol et seuls Barry et Mike, apparemment épuisés, se battaient encore contre une dernière araignée mangeuse d'hommes. Malgré leur fatigue évidente, Alrune ne leur vint pas en aide. Leur ennemie étaient pratiquement achevée mais surtout, l'absence de Jerc et John l'inquiéta. Elle balaya l'horizon rapidement mais ne vit rien quand tout à coup, des profondeurs de la forêt d'herbes hautes des cliquetis épars se firent entendre.

Alrune n'hésita pas une seconde et s'élança, parcourut la distance qui la séparait de ses deux compagnons en quelques enjambées et ne prit pas le temps d'analyser la situation qui s'offrait à elle - Jerc inconscient adossé à un arbre et John devant lui, le protégeant comme il pouvait malgré la fatigue et l'acculement de l'aracknéas - et continua sa course en direction de la créature qui lui tournait le dos, l'escalada avant de lui écraser la tête de ses pieds joints pour effectuer un saut périlleux qui l'amena derrière John. L'araignée l'avait à peine remarquée et s'acharnait toujours sur le pauvre elfe qui suait à grosses gouttes. Alrune joignit ses mains, toujours accroupie, et ferma les yeux - celui qui était sous le bandeau aussi - avant de les rouvrir en écartant violemment les bras. Un écran orangé ondula tout à coup entre l'elfe et son assaillante, chacun fut quelque peu surpris et recula instinctivement. La démone, qui ne connaissait pas grand chose aux armes de jet, attrapa l'arbalète à côté de Jerc et la jeta dans les mains de l'autre.

-"J'espère que tu sais t'en servir! Assène lui un maximum de flèches avant que le mur de flammes ne s'évanouisse."

John acquiesça sans mot dire et fit du mieux qu'il put. La distance n'étant pas grande la plupart des carreaux touchèrent au but. De plus, à chaque passage dans le mur enflammé, ceux-ci s'enflammaient à leur tour, ce qui était une aubaine. Au bout de cinq ou six flèches dans le corps, l'aracknéa affaiblie battit en retraite. Le feu qui avait pris ça et là s'étaignit par la seule volonté de la magicienne et le calme et le silence reprit place sur le bivouac. John disposa Jerc encore inconscient à l'abri de la fine pluie qui tombait depuis la fin des hostilités et le reste des elfes et la démone se regroupèrent autour de lui. C'est alors qu'il rouvrit péniblement les yeux sur le visage de Barry qui s'inquiéta de la blessure à la tête qui avait tachée sa chemise de son sang.

Jerc cligna plusieurs fois des yeux avant d'écarter tout à fait les paupières, écarquillant de grands yeux bleus sur l'attroupement qui lui faisait face. Alrune resta en arrière le temps qu'il reprenne ses esprits puis alors que Barry l'aidait à se relever, elle rejoignit le groupe qui se rassembla autour du feu. Après une collation roborative, le repos des guerriers ne se fit pas attendre et l'odeur de chair brûlée n'empêcha personne de s'endormir paisiblement.

Le lendemain, tous reprirent la route aux aurores après un petit-déjeuner frugal vers la ville du Savoir. La route fut particulièrement tranquille. Le temps était revenu au beau fixe et pas un seul nuage ne ternissait le ciel bleu qui surplombait la Région de la Sagesse. Les épreuves de la veille semblaient avoir quelque peu épuisé les voyageurs car ils marchaient tous les cinq dans un silence de plomb. Un silence qui ne fut rompu qu'au moment où les murs de la cité furent en vue. C'est Alrune qui se lança en s'approchant de Jerc qui ne semblait pas souffrir de sa blessure:

-"Je ne sais pas ce que vous avez prévu, mais je vais rester ici jusqu'à demain. Alors, je repartirai vers le nord comme je l'avais dit. Si vous restez dans le coin, je propose de fêter notre victoire sur ces aracknéas ce soir. Après que j'ai réglé quelques affaires que j'ai ici. Donc si c'est d'accord, on se retrouve à la taverne la plus proche? Ou si vous en connaissez une...

C'était la première fois que la démone avait eu des compagnons dans la bataille, dans l'adversité de la vie, depuis qu'elle avait quitté Onixion. Et elle ne voulait pas les quitter comme ça, dire adieu sur le bord d'un chemin sans avoir une chance de partager des souvenirs plus joyeux que ceux qu'ils avaient connus jusqu'ici, c'est-à-dire depuis la veille.

Ça faisait beaucoup d'émotions en si peu de temps...

La proposition d'Alrune enchanta les quatre elfes qui se mirent d'accord, après avoir cité le "Sein nu" qui tenait davantage lieu de lupanar que de taverne, sur le bistrot d'un certain Willy. Selon les dires des elfes, ce lieu relevait d'un niveau de service onéreux, mais pour la démone qui se contentait de peu, cela en valait bien un autre. C'est donc avec joie qu'elle acquiesça cette proposition. Le groupe, tout en discutant, s'approcha du sus-cité établissement et alors qu'il prit place sur le banc en pierre qui ornait la façade, la magicienne pris congé poliment, promettant d'être revenue très vite. Il restait encore quelques heures avant que la lumière du jour ne se tarisse et elle comptait bien en profiter pour essayer de glaner quelques informations.

En effet, selon les indications quelque peu douteuses d'un certain pilier de comptoir de Felicidad, Alastor ou du moins un homme semblant correspondre à la description qu'elle en avait faite dans l'une des histoires qu'elle avait inventées, était passé quelques mois auparavant dans la ville du Savoir. D'après ce qu'elle savait, son père n'avait pas l'habitude de se faire remarquer dans les milieux érudits, c'est pourquoi ces informations étaient à prendre sans conviction. Mais dans le doute, il valait mieux vérifier. Ensuite Alrune remonterait en direction de Foreoh.

L'après-midi passa très lentement. Les gens qu'elle questionna ne livrèrent aucune information de qualité, sans doute l’espérance qu'il pourraient avoir une chance avec la belle incitait-elle ses informateurs à raconter les premières histoires qui pouvaient la satisfaire, et c'est bredouille que la démone rejoignit à la tombée de la nuit la fameuse taverne de Willy. Willy, John, Barry, Mike: des noms bien étranges dans cette contrée, qui ne correspondaient pas aux histoires que sa mère lui avait racontée sur Simula ainsi qu'aux autres personnes quelle avait rencontrées. Peut-être Jerc et ses amis lui avaient-ils donnés des pseudonymes. De toute façon cela ne changeait rien à ce qu'ils avaient vécu ensemble la veille à peu près à la même heure et à son envie de décompresser.

Alrune ouvrit la porte sur une ambiance chaleureuse bien que très populaire. En effet, les érudits de la ville ou peu importait ce qu'ils étaient, savaient se lâcher et profitaient. Il y avait d'ailleurs tellement de monde, que la démone passa inaperçu dans la cohue de poivrots et autres fêtards. Le temps de traverser la moitié de la salle et elle vit enfin Jerc. Il semblait seul cependant, ce qui était bizarre étant donné que la magicienne avait cru comprendre que les elfes soldats ne se séparaient pas souvent, surtout quand il s'agissait de faire la fête. Une bouteille était posée sur la table à laquelle il faisait face. Peut-être avaient-ils déjà commencé sans elle.

Elle se fraya donc un chemin jusqu'à lui, évitant quelques coups de coudes maladroits et prit place à la gauche de l'elfe qui tourna la tête dans sa direction. Un dernier balayage d'une salle bondée au sol collant pour repérer en vain les personnes manquantes et Alrune prit la parole:

-"L'endroit à l'air apprécié - avec un coup de menton en direction de la foule - mais je n'y ai pas vu les autres. Nous auraient-ils fausser compagnie?

-"Oui très très apprécié. Quand vous êtes partie, je suis allé faire un tour de mon côté aussi. Quand je suis arrivé je ne les ai pas vu non plus. Je pense qu'ils ne vont pas tarder."

Les mots de Jerc ne se firent pas attendre pour être exaucés car John, Mike et Barry, qui avait visiblement abusé de la boisson, entrèrent dans la taverne et déambulèrent dans la salle, tentant de se frayer un chemin jusqu'à Alrune et Jerc. Les deux elfes les plus vaillants installèrent Barry sur la banquette où celui-ci s'assoupit, trop ivre pour rester pleinement conscient plus d'une minute. Le spectacle des trois nouveaux arrivants faisait peine à voir et confirmait une immaturité juvénile prononcée. A moins qu'ils ne soient épris de boisson, auquel cas ce n'était pas mieux. Seul Jerc semblait être plus raisonnable.

Heureusement, pour l'instant, l'heure était à la célébration et le souvenir de la complémentarité dont ils avaient tous fait preuve la veille suffisait à Alrune pour passer outre leur comportement. Alors que les elfes, mis à part Barry qui avait déjà suffisamment célébré, commandaient verre sur verre et se restaurèrent sans restriction, la démone se contenta d'un repas plutôt léger et de trois verres de rhum. Le lendemain elle devrait partir à l'aube et l'ivresse ne la mettrait certainement pas en de bonnes dispositions pour se lancer dans le voyage qui l'attendait.

Peu à peu, les clients désertèrent la place, et le calme reprit possession des lieux. John et Mike ayant rejoint Barry au pays des rêves, Jerc et Alrune restaient seuls à veiller sur la tablée. L'elfe en profita pour amorcer la discussion sur l'emploi du temps de l'après-midi de la magicienne. Pour une personne si distante lorsqu'il s'agissait de discuter de vie privée, comme juste avant l'attaque des aracknéas, il n'en était pas moins curieux qu'Alrune. A moins que ce ne soit qu'une simple tentative de meubler le silence pesant qu'avaient laissé ses amis.

Etant donné que leurs chemins se sépareraient dans peu de temps, la démone ne voyait pas pourquoi lui cacher les grandes lignes de ce qui l'avait retenue dans la ville su Savoir tout l'après-midi.

-"A vrai dire non. Je crains d'avoir fait chou blanc en m'attardant dans cette ville. Je suis à la recherche d'un homme. Et selon une connaissance de Felicidad il y avait de grandes chances pour que je trouve ici, sinon l'homme en question, au moins des informations sur sa prochaine destination. Or il apparaît qu'il n'a même jamais mis les pieds dans la ville du Savoir... - une moue triste se dessina sur le visage d'Alrune en disant ces mots - ...Et sinon, votre dulcinée doit-elle vous rejoindre bientôt dans cette ville? J'ai cru comprendre que vous deviez vous retrouver."

Alrune posait cette question uniquement pour alimenter la conversation, et aussi un peu par curiosité. Elle espérait qu'il réagirait mieux que la veille cette fois. De toute façon, c'était dans sa nature de poser des questions: qu'elles fâchent ou non lui importait peu. Alrune plongea donc son regard de braise dans celui de Jerc, impatiente de voir quelle réaction sa question susciterait en lui et au mieux de connaitre enfin un peu mieux cette elfe.

Apparemment, Jerc recherchait sa bien-aimée tout comme elle cherchait Alastor. Alors que jusqu'ici Alrune désespérait de voir à quel point ils étaient différents, cette nouvelle fit naître un regain d'amitié pour l'elfe. Tombant de fatigue, le soldat salua distraitement la démone et se dirigea vers l'étage de la taverne, où il avait dû réserver une chambre avant qu'Alrune ne le rejoigne. Sa condition elfique ne lui permettait visiblement pas de soutenir des efforts aussi soutenus que ce que la physionomie démoniaque de la jeune fille le permettait. C'en était presque touchant.

L'émotion que l'elfe laissa entendre dans sa réponse suffit d'ailleurs à la décider à l'aider dans ses recherches selon ses maigres moyens. En effet, alors qu'Alrune parcourait Felicidad à la chasse aux informations, il lui est venu aux oreilles qu'un démon qui se faisait appeler K.L. rôdait dans Simula, à l'époque où son père y était également, et que plusieurs enlèvements de jeunes elfes lui étaient attribués. Peut-être cela n'avait-il rien à voir avec l'affaire de Jerc, mais au cas où ses recherches dans Simula se révéleraient infructueuses, c'était une piste à ne pas négliger.

Alrune, une fois seule, demanda du papier et de quoi écrire à Willy et commença à écrire:

Jerc, je n'ai pas les moyens d'attendre votre réveil car je dois partir au plus tôt. C'est pourquoi je vous écris. Votre histoire à propos de cette femme que vous recherchez m'a intriguée. De plus j'ai eu le temps hier de récolter quelques informations qui pourraient, si votre amie reste introuvable, avoir un lien avec sa disparition. J'espère que ça ne vous sera d'aucune utilité... Il paraît qu'un certain K.L. a sévi dans la région il y a quelques mois et serait responsables de plusieurs enlèvements d'elfes et d'humains voués à l'esclavage. Encore une fois, je ne veux pas vous alarmer, ce n'est qu'une possibilité parmi d'autres. Quoiqu'il en soit, si la vie a choisi de vous mettre sur cette piste, attention! ce K.L. est un démon supérieur au service d'une puissance plus dangereuse encore. Par conséquent évitez tout affrontement direct à moins que vous ne disposiez d'une armée.
En espérant que vous n'ayez pas besoin de ces informations, je vous souhaite bonne chance dans vos recherches.

Toutes mes amitiés,
Alrune.

La démone roula le papier qu'elle tendit au gérant alors qu'elle retira, à l'abri des regards indiscrets, son cache-oeil pour s'assurer de l'obéissance de l'elfe qui essuyait encore et toujours des verres. Le regard de celui-ci ne put d'ailleurs pas s'empêcher de plonger dans les profondeurs obscures de celui de la magicienne. Elle lui dit, sur un ton amical, comme un service qu'elle lui demandait, pour ne pas éveiller la curiosité des derniers rares clients:

-"Pourriez-vous remettre ce message à Jerc lorsqu'il reparaîtra demain, s'il-vous-plaît? Inutile de vous dire que c'est privé et qu'en aucun cas vous ou qui que ce soit d'autre ne doit avoir connaissance de son contenu."

Après s'être assurée que son interlocuteur avait bien compris, elle ramassa sa sacoche qui traînait au sol et l'enfila sur son épaule. Willy rangea le document dans sa poche et regarda Alrune partir dans la nuit qui laisserait place au jour dans quelques heures seulement, et reprit ses occupations habituelles.