Freedepht Galagastania

Longtemps, on m’a dit que mes yeux reflétaient la mélancolie de l’océan. D'un bleu profond et froid, ils ont fait fuir de nombreux congénères qui me croyaient hautaine et sèche. Mes longs cheveux épais d’un bleu pâle ne me rendent pas plus douce car ils cachent un visage petit et frêle. Pour combattre les idées reçues, je me coiffe d’une couronne de fleurs blanches souvent de variétés différentes prises sur la terre ou dans l’océan bien-aimé. Ces fleurs, je l’espère, amènent une source de pureté et de bien-être dans le cœur de mes camarades.
Un jeune dauphin m’a avoué lorsque je le soignais dans les profondeurs des coraux qu’à première vu mon physique indiquait une femme svelte, sévère et arrogante mais qu’au moindre son prononcé par ma voix, on comprenait que cela n’était qu’une illusion de l’apparence.
Je porte un corset de couleurs sombres pour pouvoir passer inaperçu dans les profondeurs des océans où vivent sans aucun doute de nombreux prédateurs des sirènes. Ce corset a été tissé par ma mère à l’aide d’algues et de pétales de coraux. Je le porte fièrement malgré les nombreuses remarques des sirènes qui n’acceptent pas que l’on cache le corps si gracieux de notre espèce.

Je me souviens de ce jour lointain où j’ai demandé à un humain qui fut mon amant les qualités et défauts qu’il me trouvait et comment avait-il pu aimer une sirène telle que moi.
Sa réponse me marqua à jamais : « Tu es une beauté de glace - comment dire - ton regard semble sévère et ta colère est abondante mais tu es douce et, pour tout te dire, tu le caches incroyablement bien aux yeux du monde. Les personnes que tu respectes ont ta confiance absolue, tu leur seras dévouées jusque dans l’outre-tombe. Tu ne parles que pour dire des mots importants et tu apprécies particulièrement les caractères opposés qui se dressent contre toi. Quand on te connait réellement, tu es enjouée et cynique mais tu ne l’es jamais pour faire le mal. Cependant… je dois te l’avouer… tu es terriblement monstrueuse envers ceux qui ont perdu ta confiance, ta rage peut être d’une telle cruauté que personne n’oserait te tromper. Tu serais prête à détruire des vies par vengeance même si cela pouvait te coûter la tienne. Et sache ma douce que tout cela, je l’aime. Ce mélange incongru, cette étrange association de douceur et de haine m’attire vers toi. Tu es une énigme à mes yeux. »

Ma fille,

Tu es née depuis maintenant 30 ans et il me semble que je dois allonger sur ce parchemin, toutes les épreuves que nous avons vécu. Ma belle Freedepht, tu naquis dans les dunes du Courant. Du moins, c’est là que je t’ai trouvé. Tu étais si belle posée sur les douces Peyssonnelia et si inoffensive que je n’ai pas eu le cœur à te laisser ici. Je t’ai nommé freedepht et je t’ai pris avec moi en espérant que ta mère biologique ne te rechercherait pas, ni ton père…
Sept années passèrent, je t’élevais comme ma propre fille, je t’ai inculqué les bonnes manières, l’assiduité, l’importance de la vie et des histoires des peuples. Tu étais tellement joyeuse, joviale et appréciée de tous. Tout se passait bien jusqu’au jour où il est venu, ton vrai père.

Je me souviendrais toujours de son visage inexpressif et indifférent. Comme tu le sais, il t’a reconnue tout de suite et t’a enlevée à moi, sans un regard pour mes supplications de désespoirs, sans un reproche pour tes cris et tes larmes. Ensuite, qu’Akwabaa m’en soit témoin, je t’ai cherché aux quatre coins de l’océan mais je n’ai trouvé aucune trace de toi. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé pendant ses nombreuses années mais lorsque neuf ans plus tard tu es revenue, je ne t’ai pas reconnu. Ton visage si joyeux n’était devenue qu’une ombre, ta joie si merveilleuse avait disparu sous un visage indifférent et vide.

Que s’est-il passé mon enfant ? Combien de fois ai-je posé cette question ? Je ne puis te le dire mais seul trois mots sont sortis de ta bouche pour exprimer ton passé : « Il n’est plus ». Pour tout te dire, cela m’apaisa, je ne le craignais plus. Cependant sache ma fille que jamais ma haine s’estompera, jamais je ne lui pardonnerai de t’avoir volé ton sourire. Le temps s’écoula et ton cœur se réchauffa un peu. Je me souviens du jour où je t’ai donné ce corset que j’avais tissé pendant ton absence en pensant à toi, la plus belle œuvre de ma vie. Puis tu as fait des études dans le soin, tu as travaillé pour aider les blessés et mourants sans me donner une seule explication du choix de cette voie. Peut-être par culpabilité, je ne sais pas. Cependant je me rappelle des nombreux regards qui se posaient sur toi. Cette peur que les humains et sirènes avaient en te voyant si indifférente et sévère à tout. Les nombreux actes de violence que tu as commis pour te venger des brimades que l’on te faisait.

Le temps a passé ma fille et je crois que je peux le dire, cet humain t’a sauvée. Tu me faisais tellement rire à vouloir cacher tes visites nocturnes à la surface de l’eau juste pour l’apercevoir. Je me souviens aussi de ce jour où tu t’es assise devant moi d’un regard remplit de peur et tu m’as dit « il m’aime ». Comme c’était amusant de te voir rougir, les yeux rivés sur le sol ! Toi, si blanche si impassible, devenir si rouge ? Comment cela avait-il un jour pu être possible ? Par la suite, tout s’est accéléré, et de belle et heureuse, tu es devenu si triste de son départ. Il devait partir, il devait se marier, alors tu l’as laissé s’en aller avec une larme dans le coin de tes yeux.

Puis tu t’es comme transformée, tu es devenue plus douce, plus amicale et tu as commencé à t’intéresser à la politique des sirènes. Tu apprécias la reine comme beaucoup de sirènes et promis au plus profond de ton cœur allégeance à son règne. Tu as grandi, tu es soigneuse des sirènes, de la flore et la faune des océans.

Je suis fière de toi ma fille. Sache-le et pardonne-moi de te laisser ainsi seule dans ce monde. Les caprices de la vie sont parfois impénétrables et vont peut-être à l’encontre des culpabilités d’en temps. Je t’aime ma douce, adieu.

Ta mère, Galadriel